AccueilActualitésCurcumine : pour ou contre avec Covid-19 ?

Curcumine : pour ou contre avec Covid-19 ?

La mise en garde sur les anti-inflammatoires

Les autorités françaises ont mis en garde la population à propos des risques potentiels qu’induiraient les anti-inflammatoires non stéroïdiens, comme par exemple l’ibuprofène, en cas d’infection par le Covid-19. Cela ne semble pas être la conclusion de l’EMA, l’agence européenne du médicament [1].

Une revue de la littérature scientifique a été publiée le 30 mars 2020 par des chercheurs anglais : 13 études ont été identifiées comme pouvant être incluses. En raison du nouveau statut de Covid-19 et des similitudes de la maladie, des études relatives à l’épidémie de SRAS-CoV de 2002 ont également été sélectionnées pour examen. Elles ont d’ailleurs constitué la majorité des données disponibles. Cette revue n’a identifié aucune preuve solide pour ou contre l’utilisation de l’ibuprofène pendant le traitement de COVID-19 en particulier [2].

Ibuprofène et récepteurs ACE2

Il a été soulevé récemment que les récepteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2) serviraient de porte d’entrée pour le Covid-19.

Dans certaines études animales une corrélation a été trouvée entre le niveau d’expression d’ACE2 et le risque de déclarer une infection à Covid-19 [3].

Des données suggèrent par ailleurs que l’expression de l’ACE2 est augmentée par l’utilisation de l’ibuprofène, chez les patients diabétiques et chez ceux traités par des médicaments antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II [4]. Par conséquent, il a été suggéré qu’une expression accrue d’ACE2 chez les patients présentant ces pathologies pourrait faciliter l’infection par Covid-19.

Ces données incitent donc finalement à la prudence…

La mise en garde sur les plantes anti-inflammatoire

L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a publié un communiqué mettant en garde contre la consommation de compléments alimentaires pouvant perturber la réponse immunitaire. Elle cite plusieurs plantes, dont le curcuma. Malheureusement cette analyse ne fait pas vraiment la différence entre les études in vitro, sur l’animal et les essais cliniques. Elle ignore aussi des propriétés spécifiques à la curcumine autres que son impact sur l’inflammation…

Le point sur la curcumine : des craintes mais des effets positifs surprenants

La curcumine et l’inflammation

Tantôt décrite comme inefficace et dénuée de tout effet thérapeutique, tantôt considérée comme dangereuse, la curcumine est le sujet de nombreuses polémiques. Il y a de quoi en perdre son latin. Suivant « l’orientation » des chercheurs on trouve également des résultats différents, ou plutôt des conclusions différentes. Ainsi une méta-analyse (comprenant 19 essais cliniques contrôlés randomisés) publiée en 2019 dans la revue Pharmacological Research a conclu que le curcuma et la curcumine ne diminuaient pas les marqueurs inflammatoires chez les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques [5]. Ce papier avait littéralement ridiculisé la curcumine et les médias s’étaient empressé de généraliser en affirmant qu’elle n’avait aucun intérêt pour la santé humaine, alors que de multiples études cliniques rapportaient des bénéfices dans diverses pathologies [6]. On voit donc qu’il est facile d’extrapoler…En contraste une autre méta-analyse publiée la même année, dans la revue Phytotherapy Research (notez la « différence d’orientation »), portant sur 15 essais cliniques contrôlés randomisés, avait révélé que la curcumine était efficace pour diminuer l’inflammation pour certains médiateurs ou marqueurs, à savoir l’interlekine-6 et la protéine-C réactive ultrasensible (et non pas la CRP classique pour les connaisseurs). Tout ceci pour dire qu’il faut se méfier des discours trop simplistes, car il est très facile de dire tout et son contraire. On pourrait d’ailleurs plutôt considérer la curcumine comme un modulateur des kinases et non comme un anti-inflammatoire direct.

Curcumine et ACE2

Nous avons vu que les ACE2 pourraient servir de porte d’entrée pour que le SARS-CoV-2 pénètre dans la cellule. Sur internet on peut lire que la curcumine serait problématique en raison de son effet sur ce point. Des études animales montrent en effet que la curcumine augmente les niveaux d’ACE2 [8]. Bien que ce point soit négatif d’autres paramètres sont régulés dans le bon sens avec la curcumine…

Curcumine et immunité

Certains sont inquiets de son action sur le système immunitaire mais là aussi la curcumine agit comme régulatrice [9] et non comme immunosuppresseur…

La curcumine est antivirale !

Cette propriété n’est pas connue du grand public mais la curcumine est un excellent antimicrobien. Elle a en effet des propriétés antibactériennes, antifongiques et…antivirales [10]. Elle peut même inactiver directement le virus de la grippe, inhiber son adsorption et sa réplication, ceci en bloquant plusieurs voies de signalisation cellulaire utilisées par le virus [11]. Bien sûr il n’y a pas de données sur le covid-19 (comme tous les points soulevés dans cet article) mais ses propriétés antivirales peuvent pondérer les propos alarmant qui circulent.

Curcumine et Mpro

Une prépublication (preprint) a tout récemment mis en lumière l’effet potentiel de polyphénols, dont la curcumine, comme traitement naturel du Covid-19. Voici les explications :

Des chercheurs ont réussi à cristalliser la principale protéase Covid-19 (Mpro), qui est une cible médicamenteuse potentielle. Ils ont réalisé une étude pour évaluer les composés bioactifs trouvés dans les plantes médicinales comme inhibiteurs potentiels du Covid-19 Mpro : la curcumine, comme d’autres polyphénols (kaempférol, quercétine, lutéoline-7-glucoside, déméthoxycurcumine, naringénine, apigénine-7-glucoside, oleuropéine, catéchine et épicatéchine-gallate), serait un inhibiteur potentiel de la protéase principale COVID-19 (Mpro), avec un meilleur potentiel que le nelfinavir et le lopinavir, des médicaments antiviraux utilisés dans le VIH [12]. Tout ceci reste bien évidemment à prouver.

La curcumine et le microbiote

Un autre aspect intéressant est la modulation de la flore intestinale par la curcumine. En effet, l’administration de curcumine modifie considérablement le rapport entre le microbiote bénéfique et le microbiote pathogène en augmentant l’abondance des Bifidobactéries, des Lactobacilles et des bactéries productrices de butyrate et en réduisant les charges de Prevotellaceae, Coriobacterales, Enterobactéries et les entérocoques. Ces altérations du microbiote intestinal pourraient expliquer l’efficacité de la modulation immunitaire [13].

Et si la piste des Prevotella faisait partie du lot de fake news, le microbiote n’en reste pas moins un domaine où l’on pense pouvoir agir en prévention. Des chercheurs chinois pensent que le ciblage du microbiote intestinal peut être une nouvelle option thérapeutique ou au moins un choix thérapeutique adjuvant [14].

Il faut savoir que 5 à 20% des personnes atteintes par le Covid-19 ont des symptômes digestifs, lesquels ont généralement la forme la plus grave. Une étude nommée Covibiome vient d’ailleurs de débuter à l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris). L’analyse des selles de 300 patients infectés par le Covid-19 permettra d’établir un lien plus précis.

La curcumine rééquilibre le microbiote en favorisant les bactéries bénéfiques au détriment des pathogènes. C’est probablement un élément positif pour le Covid-19…

La curcumine et l’orage cytokinique

En admettant que la maladie se soit développée et que l’individu prend de la curcumine, que se passe-t-il ? Son action régulatrice de l’inflammation est-elle un problème ? Probablement pas. Au contraire ! En effet il avait été proposé dans le passé que la curcumine puisse être utilisée (mais en intraveineuse !) dans le traitement des patients atteints d’Ebola et d’autres infections virales graves, dans le but de supprimer la libération de cytokines et l’orage cytokinique [15]. Il est évident que par voie orale l’efficacité ne serait pas la même, mais cette action potentielle de la curcumine est un autre point rassurant.

Conclusion

Certes la curcumine est un modulateur de l’inflammation, mais en raison de sa faible biodisponibilité, de ses nombreux modes d’actions (dont certains sont différents des médicaments), de ses effets régulateurs sur l’immunité et du microbiote, et de son action antivirale sur certains virus (ex : grippe), il serait hasardeux d’extrapoler à des risques similaires aux médicaments. Il n’est pas non plus possible d’affirmer qu’elle soit efficace comme traitement du Covid-19 pour autant. Au vu de ces éléments on pourrait lui trouver une balance bénéfice/risque plutôt favorable.

Tout patient atteint du Covid-19 doit prendre l’avis de son micronutritionniste ou d’un médecin phytothérapeute compétent.


Références :

  1. European Medicines Agency. EMA gives advice on the use of non-steroidal anti-inflammatories for COVID-19. https://www.ema.europa.eu/en/news/ema-gives-advice-use-non-steroidal-anti-inflammatories-covid-19
  2. Russell B, Moss C, Rigg A, Van Hemelrijck M. COVID-19 and treatment with NSAIDs and corticosteroids: should we be limiting their use in the clinical setting? Ecancermedicalscience. 2020 Mar 30;14:1023.
  3. Hofmann H, Geier M, Marzi A, Krumbiegel M, Peipp M, Fey GH, et al. Susceptibility to SARS coronavirus S protein-driven infection correlates with expression of angiotensin converting enzyme 2 and infection can be blocked by soluble receptor. Biochem Biophys Res Commun 2004;319(4):1216‑21.
  4. Fang L, Karakiulakis G, Roth M. Are patients with hypertension and diabetes mellitus at increased risk for COVID-19 infection? Lancet Respir Med. 2020 Apr;8(4):e21.
  5. White CM, Pasupuleti V, Roman YM, Li Y, Hernandez AV. Oral turmeric/curcumin effects on inflammatory markers in chronic inflammatory diseases: A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Pharmacol Res. 2019 Aug;146:104280.
  6. Gupta SC, Patchva S, Aggarwal BB. Therapeutic roles of curcumin: lessons learned from clinical trials. AAPS J. 2013 Jan;15(1):195-218.
  7. Tabrizi R, Vakili S, Akbari M, Mirhosseini N, Lankarani KB, Rahimi M, Mobini M, Jafarnejad S, Vahedpoor Z, Asemi Z. The effects of curcumin-containing supplements on biomarkers of inflammation and oxidative stress: A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Phytother Res. 2019 Feb;33(2):253-262.
  8. Pang XF, Zhang LH, Bai F, Wang NP, Garner RE, McKallip RJ, Zhao ZQ. Attenuation of myocardial fibrosis with curcumin is mediated by modulating expression of angiotensin II AT1/AT2 receptors and ACE2 in rats. Drug Des Devel Ther. 2015 Nov 11;9:6043-54.
  9. Catanzaro M, Corsini E, Rosini M, Racchi M, Lanni C. Immunomodulators Inspired by Nature: A Review on Curcumin and Echinacea. Molecules. 2018 Oct 26;23(11).
  10. Moghadamtousi SZ, Kadir HA, Hassandarvish P, Tajik H, Abubakar S, Zandi K. A review on antibacterial, antiviral, and antifungal activity of curcumin. Biomed Res Int. 2014;2014:186864.
  11. Dai J, Gu L, Su Y, Wang Q, Zhao Y, Chen X, Deng H, Li W, Wang G, Li K. Inhibition of curcumin on influenza A virus infection and influenzal pneumonia via oxidative stress, TLR2/4, p38/JNK MAPK and NF-κB pathways. Int Immunopharmacol. 2018 Jan;54:177-187.
  12. Khaerunnisa S, Kurniawan H, Awaluddin R, Suhartati S, Soetjipto S. Potential Inhibitor of COVID-19 Main Protease (Mpro) From Several Medicinal Plant Compounds by Molecular Docking Study. Preprints 2020, 2020030226.
  13. Zam W. Gut Microbiota as a Prospective Therapeutic Target for Curcumin: A Review of Mutual Influence. J Nutr Metab. 2018 Dec 16;2018:1367984.
  14. Gao QY, Chen YX, Fang JY. 2019 Novel coronavirus infection and gastrointestinal tract. J Dig Dis. 2020 Mar;21(3):125-126.
  15. Sordillo PP, Helson L Curcumin suppression of cytokine release and cytokine storm. A potential therapy for patients with Ebola and other severe viral infections. In Vivo. 2015 Jan-Feb;29(1):1-4.
Fabien Piasco
Fabien Piasco
Fabien Piasco est nutritionniste, diplômé d’Etat en diététique, titulaire d’un D.E.S.S. en nutrition Alimentation fonctionnelle et santé (Université Laval, Québec), d’un D.U. Nutrition et maladies métaboliques (Université de Rennes) et d’un diplôme en neuro-nutrition (SiiN). Formé à la micronutrition et à la phytothérapie, spécialiste des nutraceutiques, il a aussi travaillé en pharmacie pendant près de 19 ans. Il intervient actuellement dans un établissement thermal où il dispense ateliers et consultations spécifiques en utilisant le large spectre de la nutrithérapie.

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